Longtemps ma vie a été au service de la musique.
Depuis mon plus jeune âge, je fais de la musique comme on apprend à lire et à écrire, mais pour chercher, comme un plongeur du fond des océans, à aller au-delà. Au-delà du son, de la note, du texte, de la vélocité, du silence... Plus loin encore, oui, là où l'on croit que ça s'arrête. À cet endroit.
Plus tard j'appris que c'était là aussi que le chaman poursuit sa route au-delà du "réel" pour revenir ensuite transmettre aux autres.
Cet au-delà, plus qu'une curiosité, c'est une nécessité à traverser des mondes, des dragons, des tempêtes, des néants, des abysses. La seule différence entre un amateur et un virtuose, entre un bon sportif et un champion, c'est que le second continuera là où le premier s'arrête. On peut être virtuose de la poésie, de la cuisine, de la guérison, des mathématiques, de l'éducation, de l'amour, de la connaissance, du rire... peu importe là où se trouve notre désir : celui d'aller au-delà. Ce qui nous pousse à connaître la suite de l'histoire, à ouvrir des portes inconnues, à avancer avec pour seul bagage son audace !
Notre nature est d'avoir appris à nous tenir debout pour marcher et ce, après des milliers de tentatives et de chutes pour y parvenir.
Tomber est humain, se relever est divin. On ne se relève jamais comme on est tombé. On se relève avec une conscience plus forte et une force plus consciente.
En traversant ces mondes, en allant tellement loin, on touche l'inexplicable : la grâce. Cette expérience, c'est la rencontre avec sa propre puissance intérieure.
Et il faut une sacrée humilité pour faire preuve d'audace !
La musique de tout temps véhicule un pouvoir inébranlable car elle nous connecte à notre propre pouvoir intérieur.
En 2010 j’arrive là où mon âme me guide depuis toutes ces années : la finale du concours Chopin à Varsovie. C’est une évidence pour moi. Pourtant mon cœur n’y est pas totalement. À la dernière ligne droite, quelques mètres avant l’arrivée, j’ai vécu ce que je compris plus tard comme étant un éveil. Obtenir le premier prix de ce concours, c’était vivre l’expérience certes magnifique de donner dès le lendemain des tournées dans le monde entier pour perpétuer ce rituel du concert classique. Mais était-ce ce à quoi au fond, au plus profond de mon âme, j’aspirais ? Si cela était le cas, j’aurais été alignée entre mon coeur, mes pensées et mes actes. Or profondément, je me lassais avant même d’arriver au bout du challenge. D’ailleurs je m’étais surprise à me dire : « après ce prix, j’arrête tout ! ». Ce n’était pas la musique que je souhaitais arrêter. C’était cette sensation de manquer d'espace ou de liberté dans des cadres qui ne me convenaient pas toujours pour permettre à la musique de toucher les gens dans leur propre pouvoir intérieur.
Surprendre, animer, transformer, évoluer, sublimer... En hypnose (comme en musique !) j'aime ce qu'on appelle une "rupture de pattern" et qui permet une rupture du conscient répétant des mêmes schémas d'intégration. Subitement, ne parvenant pas à intégrer un élément trop soudainement nouveau, on passe à un niveau plus inconscient...
Un jour je compris que la seule chose prévisible, c'est l'imprévu !
C’est alors qu’a commencé un véritable voyage intérieur me guidant vers des rencontres surprenantes, extraordinaires.
En me formant à l’hypnose, j’ai finalement senti le puzzle s’accomplir.
Née d’un père psychiatre ayant traversé la barbarie des années 40 et d’une mère infirmière, sans doute était-il naturel de relier un jour l’art et la guérison. J’ai su tôt que la poésie était ce qui venait au secours des âmes blessées. À l’heure où l’industrie des médicaments semble paradoxalement aussi florissante que celle du mal de vivre, l’art me semble comme un remède au sens le plus noble du terme.
Alejandro Jodorowski déclarait avec cette intimité qui touche à l'universel : « Il fallait que je trouve un art qui guérisse. J’ai été un barbare psychologique car je ne pensais qu’à l’art et je croyais que l’art, c’était me réaliser moi-même... À quoi ça sert l’art ? À être célèbre, applaudi, riche ? Il fallait que je trouve un art qui guérit, un art qui guérit les limites. »
Lorsque Chopin compose ses Polonaises empruntes d'héroïsme face à son pays assiégé, lorsque Beethoven compose son Ode à la Joie en luttant contre sa surdité, lorsque Bach compose ses pages les plus célestes tandis qu’il n'est pas si bienvenu à Leipzig ou se retrouve jeté en prison, lorsque Debussy compose ses pages les plus surréalistes tentant peut-être d’échapper à cette réalité trop sombre pour déployer d’autres dimensions spacio-temporelles…
N’est-ce pas là autant d’invitations à traverser sa propre histoire d'homme ou de femme, à déployer ses propres strates qui nous constituent et font de nous les héros de notre vie ? Comme un thérapeute qui est là pour guider d’une rive à l’autre, la musique accompagne nos passages, qu’ils soient des deuils, des renaissances, des doutes, des lâchetés, des passions, des souvenirs, des rêveries, des amours, des guerres, des enfances, des hivers et des vies...
À présent, ma musique est au service de la vie.
Si la musique était votre compagne / compagnon d'aujourd'hui, laquelle vous ferait du bien ?
Vous souhaitant une semaine sous le signe de l'émerveillement !
Du fond du coeur
Au bout des doigts
Hélène Tysman
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