top of page

LA VOIE DE L'ARTISTE

Comme la voie du yoga, celle du tantrisme ou quelque voie du chemin que l'on appelle "l'éveil", il est une voie toute aussi royale : celle de la beauté.


La voie de l'art n'est pas celle d'un esthétisme harmonieux que l'on observerait à l'extérieur de soi. C'est, comme tout ce qui mène à cet éveil total, une réalisation au plus profond de soi. Indicible. Intime. Et sans équivoque.


Longtemps je me suis sentie mal à l'aise dès que le décors, autour de moi, semblait triste, grisonnant, médiocre. Comme un enfant perdu cherchant ses parents à l'accueil d'un magasin en grande surface, l'angoisse me montait cherchant partout du regard ce qui en moi croyait manquer. Ce qui hurlait. À un certain moment, cette quête d'une beauté "parfaite" devient tyrannique. Mais, comme toutes les voies d'éveil, c'est une entrée. Et lorsque l'on est las de rester sur le palier de la porte, naturellement ou impétueusement, c'est le corps entier qui nous amène pour pénétrer bien plus loin. Traverser ce que l'on prenait pour des limites. Quelques peurs... Jung disait que "la peur éclaire le chemin".


L'AU-DELÀ EST SOUVENT EN-DEDANS


Or cette beauté que l'on cherche en vain, parfois une vie entière, se révèle alors, soudain, en soi. Si simplement. C'est notre regard qui la porte et la pose sur chaque atome qu'il rencontre. Ou qu'il crée.


VOIR, C'EST CRÉER


Et Oscar Wild l'avait si bien définit lorsqu'il disait que "la beauté appartient au regard de celui qui la voit".


Le "jeu" (ou le "je"), c'est d'abord cette illusion de s'élancer vers d'où l'on vient. Incapable de voir son origine. Logique : l'oeil ne peut pas se retourner sur lui-même ! Ainsi, en puisqu'elle est en nous, cette voix (et cette voie) nous tiraille pour nous mettre en chemin. Il n'est pas une destination extérieure mais un moteur qui nous permet de rencontrer la plus sophistiquée de toutes les ingénieries, de toutes les technologies existantes : la Vie.


STATION-SERVICE & EXTASE


C'est ainsi que cette semaine, me rendant à un concert en Suisse, je m'arrêtai à une station service pour remplir ma voiture d'essence et mon corps d'énergie. Posée quelques instants sur un banc d'une station service, le sandwich dans les mains, j'étais prête à observer ce décors terriblement utilitaire, sans l'ombre d'un paillette d'émotion de beauté. Entendons-nous. J'ai toujours adoré les stations services pour leur côté "no man's land", cet aspect hors du temps où chaque être est conscient, à cet endroit-là, d'être un voyageur, tandis que nous l'oublions si souvent le reste du temps. Les regards se croisent sur ce qui est, avec un contentement délicieux. Une machine d'un café douteux, un sandwich emplastiqué et c'est le rêve ! L'on sait qu'ici, chacun se trouev entre son point A et son point B. Cet "entre deux" qui nous caractérise se révèle enfin...


Toujours est-il que, machouillant ce sandwich, j'étais ce jour-là, peu encline à poétiser sur ces bancs de plastique aussi peu expressifs que le visage de ceux que je croisais. Une insignifiance qui me disait "quelle déprime !" C'est alors que, deux minutes plus tard, une pensée surgit en moi : détendre ce qui voudrait que ce soit différent. Respirer précisément sur ce banc, dans ce décorum, à cet instant de ma vie si peu "glamour". Or, lorsque ce genre de pensées surviennent, c'est que l'imagination a emboîté le pas à l'action qui est déjà en route. Sans avoir vraiment le temps de considérer la pensée, me voilà le cerveau détendu, l'esprit calme, ouvrant les yeux comme un enfant pour la première fois arrivé sur la planète bleue. Un émerveillement. Je m'émerveille d'avoir la capacité de mâcher un morceau de pain dans la bouche, chaque muscle, chaque mouvement du geste, et puis les sensations et le goût... Une explosion de saveurs ! Simultanément le banc semble extraordinaire. Les secondes sont décuplées en une oeuvre d'art d'éternité. Des larmes de joie ruissèlent sur mon visage qui a toujours ce sandwich de station service entre les joues. Alors mon regard s'amuse à se poser partout avec autant d'émotion que si je me trouvais dans la chapelle Sixtine. Luxe plus ultra ! La pierre philosophale.


Cela, c'est un instant d'éveil, comme nous en vivons tous consciemment ou inconsciemment une fois (ou de multiples fois) dans nos vies. Les Japonais appellent cela le Kenchua. Et lorsque cet éveil devient définitif, c'est le Satori.


Souvent, c'est en écoutant une oeuvre de Bach ou en allant voir une peinture ou une pièce de théâtre qui nous émeut. Mais d'autres fois, aussi, cela peut être en se brossant les dents, en garant sa voiture ou en marchant au détour d'une rue banale.


LA BEAUTÉ COMME SOIN DE L'ÂME


La voie de l'art n'est pas la recherche d'un endroit où tout serait beau. C'est la révélation que cette beauté a toujours été là, en nous. Qu'il n'est pas question d'une beauté conditionnée mais de ce sentiment intérieur, unique et mystérieux qui fait dire "wow" lorsque nous l'écoutons. Ce diapason intérieur nous montre combien nous sommes grandiose, infinis, vastes. Notre chapelle Sixtine à nous.


J'ai sans doute été attirée par la musique à travers l'écho que je pressentais et attirée de chercher chaque jour d'avantage comment m'y rapprocher. Tel Narcisse attiré par son reflet dans l'eau, la souffrance vient de ne pas reconnaître ce "soi" que l'on voit.


Est-ce en cela que l'artiste est un guérisseur au monde? Il donne à réaliser cette beauté du monde en soi. La résilience totale, en complétude. À l'inverse du manque lorsque nous croyons chercher ce qui nous rendra heureux mais n'obtenons que d'avantage ce sentiment d'absence.


La beauté peut être effroyable, monstrueuse même ! Vertigineuse bien sûr. Elle est dans tout. En chaque particule, en chaque atome, en chaque geste, aussi insupportable soit-il. En chaque acte et en chaque soupir. Et même en chaque laideur comme en chaque chaos. Une goutte de pluie ou un pétard la nuit. Toute apparition est issue de la beauté. Appelez-là "Vie", "Dieu", "Nature", "Amour" ou "source".


Les mots, comme les notes d'une partition. Ils ne sont là que pour dessiner les contours de tout ce qui ne peut être dit.


Et c'est alors que s'ouvre le sourire, vibre le coeur, et que les yeux par en-dedans voient.


Au plaisir de vous retrouver en ce mois d'octobre !


Infiniment vôtre,


Hélène Tysman



73 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page